Tout au long de la négociation, nous avons énormément entendu parler de la négociation du secteur public dans les médias. Notre cher premier ministre de même que notre ministre du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) s’en sont donné à cœur joie sur la place publique. Les chefs représentant chacune des organisations du Front commun ont aussi fait état de la négociation lors de conférences de presse et ont dû, à de multiples reprises, rectifier les propos mensongers du gouvernement.

Mais qu’en était-il de l’intérieur? On m’a demandé de tenter de vous expliquer à quoi ressemble la vraie négociation, comment ça se passe réellement dans les coulisses du Conseil du trésor.

J’y étais à titre de coordonnatrice et porte-parole pour la FTQ. Fait inusité, j’étais la seule femme qui siégeait à la table de négociation pour le Front commun alors que le secteur public est composé à plus de 78 % de femmes. En fait, j’aurai été la première femme porte-parole pour la FTQ dans les négociations du secteur public.

LE FRONT COMMUN

Comme vous le savez, la négociation s’est déroulée en Front commun FTQ, CSN, CSQ et APTS. À la table centrale, l’équipe de négociation était composée de huit personnes provenant de la FTQ, la CSN et la CSQ dont un porte-parole pour chacune des trois centrales syndicales. Cette alliance a permis de rassembler plus de 420 000 travailleuses et travailleurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux. Elle a également mené à la plus grande marche nationale et au plus important mouvement de grève depuis des décennies.

Cette alliance a cependant apporté son lot de défis. Jumeler ces trois grandes centrales était une chose, mais il fallait aussi en arriver à un projet commun qui répondait aux demandes des membres de chacune des organisations. Ensuite, ajouter à ce regroupement l’APTS, un syndicat indépendant, pour une première fois. Avoir chacun ses idées, sa vision, ses modes de fonctionnement, sa façon de négocier et trois porte-parole syndicaux à une même table, bref, ce n’était pas une mince affaire! Pour pouvoir y parvenir, il fallait avoir un but commun ultime : faire plier le gouvernement Legault et obtenir de meilleures conditions pour nos membres.

LA NÉGOCIATION

La négociation avec le gouvernement du Québec aura finalement duré plus d’un an. Au total, c’est 42 séances de négociation comportant nombre de caucus patronaux qui n’en finissaient plus et des allers-retours à Québec pour prendre part à des rencontres où l’on ne discutait avec l’employeur qu’une heure ou deux à peine dans une journée, le tout sans oublier leurs contre-offres qui prenaient des heures à revenir du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) car ils écrivaient des textes à vingt personnes alors que la porte-parole patronale savait très bien que ce qu’ils déposaient serait rejeté.

Et que dire du fameux nouveau centre de négociation du gouvernement? Un seul mot : insalubre! Des locaux inadéquats, minuscules où régnait une chaleur qui rendait le tout inconfortable même pour les plus frileux. Après deux ou trois rencontres en ces lieux, nous sommes retournés négocier au complexe H. Il était alors difficile d’avoir accès à des salles de caucus, il faisait toujours aussi chaud, mais du moins, ce n’était pas insalubre. Ensuite, lorsque nous avons négocié sur de plus longues périodes, nous avons eu droit à un accès restreint à la salle des toilettes. Ces dernières n’étant plus accessibles après 17 heures, il fallait en faire la demande à l’agent de sécurité. Le gouvernement croyait peut-être nous faire flancher en raison de ces piètres conditions!

Avons-nous réellement négocié dès le début? Les représentants patronaux vous répondront assurément oui, mais en toute honnêteté, la VRAIE négociation a réellement débuté dans les six dernières semaines des pourparlers. Nous avons perdu énormément de temps à discuter, notamment, des forums et des lieux de négociation des différents sujets. Nous avons ensuite fait face pendant des mois à des porte-parole sans mandats qui tentaient de nous vendre les offres salariales ridicules du gouvernement et du bien fait de leurs attaques sur le régime de retraite. Ils ont même poussé l’audace en nous proposant de nous fournir un verbatim pour faire accepter leurs offres par nos membres. La partie patronale nous ramenait constamment vers un règlement global et refusait de consigner ce qui était entendu entre les parties. Pire, nos vis-à-vis nous présentaient constamment des mesures patronales pour lesquelles nous savions déjà – grâce à d’autres canaux – qu’elles ne faisaient plus partie des sphères du gouvernement.

L’arrivée des médiateurs à la table centrale à la mi-novembre a donné un nouveau souffle à la négociation. C’était en fait une première.  En d’autres termes, cette demande de médiation de la part de la partie syndicale a ébranlé les colonnes du temple! Le gouvernement, toujours omniprésent sur la place publique, était bien mal placé pour la refuser. À partir du 21 novembre, nous avons été en négociation six jours sur sept. Il y avait encore de longs caucus patronaux, mais du moins, les médiateurs les confrontaient et les obligeaient à arriver avec des réponses. Enfin, la vraie négociation pouvait commencer. Nous avons ainsi pu avancer sur quelques sujets, mais en date du 17 décembre, il demeurait toujours des enjeux majeurs.

C’est à ce moment que le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) a décidé de faire intervenir un de ses négociateurs en chef, celui-là même qui tient les cordons de la bourse. Ils ont alors tenté de nous convaincre que le SCT avait tout mis ce qu’il pouvait sur la table; que nos membres auraient plus que l’inflation prévue; que s’ils nous donnaient plus, ils devraient couper aux tables sectorielles. Bref, c’est le moment où ils nous ont joué du violon! Est ensuite venu le discours qu’ils avaient compris, qu’ils nous avaient entendus et qu’ils allaient nous faire une nouvelle offre. Quelle était cette super offre? Ils ajoutaient un maigre 0,3 %. On passait donc de 12,4 % à 12,7 % sur 5 ans. Wow!

Le 23 décembre, après une journée de négociation jusqu’au petit matin, nous en étions toujours à 12,7 % sur 5 ans avec une faible possibilité pour une clause IPC qui comprenait une panoplie de conditions à la fin de ces 5 ans. Nous étions encore bien loin du compte. Il n’y avait pas de perspectives de règlement avant les Fêtes, chaque partie avait décidé de faire rapport à ses mandants. Les médiateurs ne voyaient pas d’ouvertures non plus et proposaient un ajournement jusqu’au retour des Fêtes.

Le soir même, tout a déboulé. Nous avons été rappelés à la table de négociation à 20 h 30 pour y passer la nuit.  Le matin du 24 décembre, l’ensemble des sujets était réglé, mis à part les salaires. En après-midi, des échanges ont eu lieu entre les chefs et la ministre Lebel. Nous avons finalement pu quitter Québec à 17 h le soir même du réveillon du jour de Noël, et ce, sans un règlement en poche. Le ministre Girard avait probablement décidé que c’était le moment de manger sa dinde… Le retour à la table de négociation était alors prévu pour le 26 décembre. Les pourparlers se sont poursuivis et nous avons finalement reçu l’offre finale du gouvernement le 27 décembre. Après une autre journée de discussions intenses, nous avons été en mesure de convenir d’une entente de principe, soit le matin du 28 décembre.

LA GRÈVE

Lors de la ronde de négociations précédente, la pandémie avait fait en sorte que nous n’avions pu utiliser tous les moyens pour arriver à nos fins. Nos membres étaient donc prêts à aller à la guerre dans le cadre de cette nouvelle ronde de négociations. Ils ont d’ailleurs voté en faveur de moyens de pression pouvant aller jusqu’à la grève générale illimitée. Du jamais-vu en 40 ans!

Trois séquences de grève pour un total de onze jours de grève ont été nécessaires pour contrer les attaques envers le RREGOP ainsi qu’aux droits parentaux et obtenir une digne hausse de salaire. Lors de lapremière journée de grève, j’ai fait la tournée de plusieurs sites de grève et l’ampleur de la mobilisation était spectaculaire. Pour la deuxième séquence, nous étions au Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) en séance de négociation. C’était LA place où nous devions être. Cependant, au cours de la troisième journée, nous avons interrompu notre séance afin d’aller rejoindre nos membres qui manifestaient par milliers devant l’Assemblée nationale. Ce moment a donné lieu à une grande vague d’appui à l’équipe de négociation, ce qui nous a permis de retourner au front avec une confiance incroyable.

La troisième séquence : sept jours de grève consécutifs. Une première depuis 1972! Le matin du 8 décembre, soit la première journée de la séquence, mon collègue Pierre-Guy Sylvestre et moi-même avons croisé des manifestants devant l’ASSNAT. Des membres du Front commun, nos membres! De grands frissons m’ont traversé le corps! Il est clair que de décider de mettre 65 000 membres de la FTQ et 420 000 personnes au total en grève, ça ébranle un peu! Quand on prend cette décision, on est conscient de ce que l’on demande à nos gens.

Les journées de grève, la grande mobilisation et, sans l’oublier, l’appui incontestable de la population ont permis de contrer les attaques du gouvernement Legault, mais aussi d’obtenir une plus importante hausse salariale et une clause d’IPC.

MON BILAN PERSONNEL

Ce fut sans contredit une négociation historique sur plusieurs points :

Mais, je crois qu’il y a des questions à se poser sur cette négociation :

Certes, cette négociation aura été marquée de moments historiques, mais malgré les hausses salariales, la clause d’IPC, le retrait des attaques envers le régime de retraite, je conserve un goût amer de cette dernière.  Je suis fière du travail que nous avons accompli tous ensemble, mais d’un autre côté, je suis déçue de la manière dont cette négociation s’est terminée. Aurions-nous obtenu plus si nous n’avions pas accepté le rythme imposé par le gouvernement à la toute fin? Personne ne le saura jamais. Cependant, une chose est certaine, nous n’aurions pas accepté moins en raison de la mobilisation exceptionnelle dont on bénéficiait et nous aurions au moins été respectés.

Pour conclure, s’’il y a une chose dans la vie que j’ai rapidement apprise et que j’inculque à mes filles, c’est que l’on doit se faire respecter.

Mélanie Gougeon

2 Responses

  1. Merci particulier à nos syndicats pour tous le temps mis à rude efforts pour avoir réalisé cette dure bataille.je tiens a allouer un prix citron par contre à notre employeur.Na toujours pas respecté la voix des travailleurs nous sommes toujours aussi pauvre pas un sous de plus dans nos poches se garde tous
    Et nous attendons toujours pas certain qu’il comprenne la pauvretés que tous vivons.

  2. Quand tout cela va être vraiment fini…
    Quand allons nous avoir ce pourquoi on c’est gelé les fesses…

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