LA GRÈVE COMME MOYEN ULTIME
La grève et le lock-out représentent les ultimes recours lors des négociations entourant une convention collective. La grève vise à priver l’employeur des revenus et des bénéfices générés par le travail des employés, tandis que le lock-out prive les travailleurs de leur emploi et de leurs salaires. Heureusement, ces moyens de pression ne sont utilisés que dans environ 4% de l’ensemble des négociations de conventions collectives au Québec1. Ainsi, on peut conclure que les arrêts de travail demeurent l’exception plutôt que la règle, et dans une large mesure, les parties préfèrent parvenir à un consensus.
Cependant, il arrive que certaines situations contraignent les employés à recourir à ces mesures drastiques. Par exemple, lorsque l’employeur persiste à proposer des augmentations salariales qui représentent à peine 50% du taux d’inflation prévu, les travailleurs peuvent se sentir contraints d’exercer leur droit de grève. C’est précisément ce qui a conduit les membres du front commun à arrêter le travail pendant 11 jours à l’automne 2023.
LE FONDS DE GRÈVE COMME COUSSIN FINANCIER
Il est recommandé que chaque individu ou famille constitue un fonds de prévoyance capable de couvrir ses besoins ainsi que ceux de sa famille pendant une période minimale de 2 à 3 mois. Malheureusement, nombreuses sont les personnes qui éprouvent des difficultés à constituer ou à maintenir ce coussin financier. Une alternative collective consiste à opter pour la création d’un fonds de grève, offrant ainsi une solution à cette problématique.
Le fonds de grève, établi de manière collaborative, fournit un moyen de contourner les défis liés à l’accumulation individuelle de ressources financières. L’indemnité de grève qui en découle représente un revenu minimum garanti. Cette disposition permet de ne pas entraver la possibilité de s’engager dans la lutte pour l’amélioration des conditions de travail lorsque cela devient nécessaire. En choisissant cette approche collective, les individus se donnent les moyens de préserver leur capacité à revendiquer leurs droits en réduisant les conséquences financières immédiates.
UN EXCELLENT LEVIER DE NÉGOCIATION
Lors de notre récente grève en front commun, les questions relatives aux fonds de grève ont suscité un vif intérêt dans l’espace médiatique. Des interrogations ont émergé quant à la raison pour laquelle certains syndicats ne disposent pas de tels fonds2, et pourquoi d’autres établissent des critères d’accès particulièrement stricts3. Ces préoccupations n’ont pas été soulevées au sein du Syndicat Canadien de la Fonction Publique.
Avec une caisse de grève excédant les 130 millions de dollars et des mécanismes permettant une recharge rapide en cas de besoin, le fonds de grève du Syndicat Canadien de la Fonction Publique se positionne parmi les plus efficaces et enviables au Canada et en Amérique du Nord.
Lors des négociations de conventions collectives, le fonds de grève assume initialement un rôle dissuasif face à l’employeur. Le simple fait de savoir que les travailleurs ne seront pas complètement privés de revenus durant une grève ou un lock-out suffit souvent à persuader un employeur d’améliorer ses offres. Ce levier de négociation vise également à contrer la menace de l’employeur consistant à priver les travailleurs de leur source de revenus.
Le fonds atteint son plein potentiel en cours de grève ou de lock-out, soutenant financièrement les travailleurs privés de leurs salaires pendant le conflit de travail. À l’heure actuelle, l’indemnité de base par semaine de grève s’élève à 300 $, pouvant atteindre 400 $ après 12 semaines. De plus, la caisse peut couvrir les assurances collectives et même la part de l’employeur en cas d’interruption de paiement de sa part4.
LE FONCTIONNEMENT DE LA CAISSE NATIONALE DE GRÈVE DU SCFP.
Notre fonds de grève est ancré dans nos statuts et règlements depuis 2001, devenant ainsi une composante essentielle de notre identité syndicale. Au fil des ans, il a évolué, ce qui a conduit à l’adoption de plusieurs modifications visant à améliorer son efficacité et sa viabilité. Ces changements ont été intégrés grâce à des amendements adoptés lors de nos instances au sein du Syndicat Canadien de la fonction publique (voir l’encadré pour les détails).
L’une des modifications majeures a été d’accorder le droit aux allocations de grève dès le premier jour d’arrêt de travail. En effet, avant 2017, l’indemnité n’était versée qu’après trois jours de conflit. Cette évolution reflète l’engagement constant du SCFP à ajuster et à optimiser notre fonds de grève pour mieux répondre aux besoins des travailleurs, renforçant ainsi notre capacité à soutenir ses membres dès le début d’un conflit de travail.
Depuis 2001, la cotisation individuelle à notre caisse de grève correspond à un pourcentage, actuellement fixé à 5%, des capitations versées au SCFP, lesquelles représentent 0,85% du salaire5. Pour illustrer, si votre salaire est de 1000$/semaine, la portion de votre cotisation versée au SCFP sera de 8,50$. De ce montant, 42,5 cents (5%) ira à la caisse nationale de grève.
Nos statuts ont intégré un mécanisme additionnel : en cas de diminution de la caisse sous les 50 millions de dollars, le SCFP est tenu d’augmenter la cotisation à 6% des capitations, et ce, jusqu’à ce que la caisse atteigne 80 millions de dollars6. Pendant cette période, le SCFP peut également transférer 4% des capitations destinées à la caisse nationale de défense vers la caisse nationale de grève7.
Si ces mesures ne suffisent pas, un second déclencheur autorise le SCFP à augmenter la capitation de 0,04% (de 0,85% à 0,89%) si la caisse de grève passe sous les 15 millions de dollars, et ce, jusqu’à ce qu’elle atteigne 25 millions de dollars8. Ces ajustements permettre de maintenir une caisse de grève robuste et fonctionnelle pour soutenir nos membres dans les moments cruciaux.
IL EST TEMPS DE PASSER À LA CAISSE
Les exemples suivants démontrent de manière pragmatique comment le fonds de grève agit comme un levier financier, générant des bénéfices significatifs pour les travailleurs. Prenez note que ces exemples ne tiennent pas compte les bonifications et autres allocations de grève qui peuvent être versées par les sections locales. Voici les cas de Chantal et Mariette lors de la dernière grève en front commun, ainsi que de la conclusion de l’entente de principe du 28 décembre 2023.
Chantal – Préposée au bénéficiaire dans un CHSLD de Montréal depuis 10 ans:
- Salaire de base : 25,63$/heure.
- Cotisation au fonds de grève depuis 10 ans : 206,74$.
- Indemnité de grève reçue pour 9 jours : 135$ (1hX15$X9 jours).
- Manque à gagner par rapport à l’investissement initial : (71,74$).
Cependant, en participant à la grève, Chantal a contribué à faire passer les augmentations salariales de 10,3% le 29 octobre 2023 à 17,4% le 28 décembre 2023. En considérant la rétroaction pour l’année 2023 seule (de 4,3% à 6%), son gain net représente 820$, soit près de 12 fois son investissement initial. Sur une période de cinq ans, le gain supplémentaire aux salaires grâce à la grève est de 3 819$ par an à partir du 1er avril 2027, soit près de 53 fois son investissement initial de 71,74$.
Mariette – Technicienne en administration depuis 15 ans:
- Salaire actuel : 32,32$/heure.
- Cotisation au fond de grève depuis 15 ans : 375$.
- Indemnité de grève reçue pour 9 jours : 540$.(4hX15$X9jours)
- Bénéfice par rapport à l’investissement initial : 165$(44%).
Les neuf jours de grève avec le front commun ont permis à Mariette d’augmenter son salaire de 4 651$ par année en 2027 par rapport aux offres du 29 octobre 2023.
Ces exemples soulignent l’efficacité du fonds de grève en tant qu’instrument financier stratégique, offrant des rendements significatifs aux travailleuses qui luttent pour améliorer leur sort.
QUEL AVENIR?
Il est indéniable que l’utilisation de la grève comme moyen de pression par le front commun s’est révélée fructueuse pour les travailleuses de l’État. Le fonds de grève du SCFP a joué un rôle crucial en facilitant les votes en faveur de la grève et en soutenant financièrement les membres les plus vulnérables pendant le conflit.
Maintenant que les avantages de cette caisse nationale de grève sont démontrés, il devient essentiel de suivre son évolution et de chercher continuellement à améliorer son efficacité. Cela peut se faire en mettant en avant les gains obtenus lors des conflits, en ajustant les allocations en fonction du coût de la vie, ou encore en augmentant les revenus de placements…
Le succès du fonds de grève du SCFP constitue une leçon précieuse pour l’avenir, soulignant l’importance de maintenir et d’améliorer constamment les mécanismes de soutien financier pour les travailleurs qui se battent pour l’amélioration de leurs conditions de travail. La vigilance et l’adaptabilité seront des éléments clés pour assurer la pérennité et l’efficacité de cette initiative.
Patrick Hallé
Encadré :
L’historique de la Caisse nationale de grève du Syndicat Canadien de la fonction publique (SCFP) reflète une évolution significative depuis sa création en 1967 jusqu’à sa situation actuelle en 2024. Voici un résumé des étapes clés :
- 1967 : Création de la Caisse nationale de défense avec une mise initiale de 250 000$.
- 1968 : Instauration d’une cotisation de 10 cents par membre par mois dans la caisse.
- 1971 : La caisse se vide et les allocations de grève sont interrompues.
- 1972-1979 : La cotisation à la caisse nationale de défense augmente, passant de 10 cents à 80 cents par membre par mois.
- 1981 : Changement des cotisations d’un montant fixe à un pourcentage. – 1982 : La caisse se vide à nouveau, et une relance est décidée au congrès spécial de juin avec une cotisation spéciale de 5$ par membre et 1$ par membre par mois jusqu’à atteindre 10 millions de dollars.
- 1983 : Adoption d’une cotisation de 20% des capitations dans la caisse de défense.
- 1985 : Mise en place d’un mécanisme pour augmenter les cotisations de 0.04% si la caisse descend sous les 5 millions de dollars. L’allocation de grève passe à 75$ par semaine.
- 1987 : L’allocation de grève est augmentée à 100$ par semaine.
- 1997 : L’allocation de grève est portée à 200$ par semaine.
- 1999 : La caisse nationale de défense se vide pour la troisième fois, entraînant la création d’un comité de travail pour proposer des solutions.
- 2001 : Scission de la Caisse nationale de défense en deux fonds distincts, la Caisse nationale de grève est créée, servant spécifiquement aux campagnes pour éviter la grève, aux allocations de grève, aux frais juridiques liés à la grève et au remplacement des assurances collectives nécessaires pendant la grève.
- 2006 : La caisse de grève peut désormais obtenir des revenus à partir de placements garantis.
- 2006-2023 : Bonification progressive des allocations de grève, atteignant 300$ par semaine en début de grève, 350$ à partir de la 8e semaine, et 400$ après 12 semaines d’arrêt de travail. La période d’attente pour l’obtention de l’allocation de grève est également réduite, passant de 15 jours à la première journée du conflit.
- 2023 : La caisse nationale de grève atteint un montant de 131 millions de dollars, bénéficiant d’un taux de rendement solide qui permet de financer une grande partie des luttes lorsque nécessaire.
Cette chronologie illustre l’engagement continu du SCFP à renforcer sa capacité financière pour soutenir efficacement ses membres lors de luttes pour l’amélioration des conditions de travail.
Merci à Monsieur Claude Généreux (Secrétaire trésorier national du SCFP de 2001 à 2011) pour sa collaboration.
- Statistiques du Ministère du travail du Québec, Les arrêts de travail au Québec Bilan pour l’année 2020 et Portrait statistique des convention collectives analysées au Québec 2022 ↩︎
- TVA Nouvelles, Où est le fonds de grève? Inquiète, une enseignante de la FAE se confie, 26 novembre 2023. ↩︎
- Radio-Canada Info, Mot d’ordre de souplesse lancé par la CSN pour l’accès au fonds de grève. 11 décembre 2023 ↩︎
- Règlements de la Caisse de grève du Syndicat Canadien de la Fonction Publique ↩︎
- Article 13.3 aux pages 47-48 des Statuts 2023 du SCFP ↩︎
- idem ↩︎
- Article 13.2 à la page 47 des Statuts 2023 du SCFP ↩︎
- idem ↩︎